Dans COMPTOIR DU MONDE, rencontrez LES EDITIONS DU BOUT DE LA VILLE





Pourquoi êtes-vous devenus éditeurs ? Quel serait le livre que vous avez édité et qui a tout changé pour vous ?
Floréal Klein : Tout commence le 11 mars 2011. C’est
le début de la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon. Avec deux
amis engagés depuis des années dans la lutte contre le nucléaire, nous
décidons d’écrire un livre pour rendre compte des mensonges d’État qui
accompagnent la catastrophe, et nous créons une maison d’édition pour
pouvoir le sortir en toute indépendance. Oublier Fukushima
sort un an après, c’est le premier livre de notre maison : Les éditions
du bout de la ville. C’est un livre étrange, mais qui se veut fulgurant
et radical. Il donne largement la parole aux habitants du Japon en
lutte contre un État qui refuse de les évacuer et qui nie la catastrophe
en cours. En France, à l’époque, ces voix sont rares – et la nécessité
de les faire entendre d'autant plus nécessaire. Le livre a rencontré un
succès qui nous a surpris, et encouragés à poursuivre cette manière
d'aborder les enjeux sociaux et politiques.
Ainsi l’édition est née pour nous d’une nécessité, celle de faire
exister la parole des premiers et premières concernés : des textes
incarnés, « situés » comme on dit maintenant.
Il ne s’agit pas d’éditer
de simples témoignages ; il s'agit pour ceux et celles qui écrivent de
penser le monde depuis leur propre situation, de l'inscrire dans une
profondeur historique. C'est ce point de vue au sens fort qui doit nous
permettre de penser notre condition présente. Cette exigence éditoriale
n’est pas simple à tenir, mais elle permet de produire des textes qui
ont une petite chance d’être entendus avec force, et peut être de
changer un peu les choses.
Nous éditons des prisonniers qui refusent de se laisser enterrer vivant, des éleveurs qui se débattent dans les filets de l'administration, une malade du cancer qui refuse de finir sa vie entre les mains du pouvoir médical, des Gilets jaunes qui écrivent leur colère au dos de leur gilet, des bluesmen qui parlent d'un esclavage qui n'a jamais cessé…
Pour nous, la plus grande satisfaction est de rencontrer des personnes qui nous disent qu'elles ne lisent pas ou peu mais qu'elles ont dévoré nos livres, et que leur lecture a bouleversé leur manière de voir le monde.
Quel message souhaitez-vous défendre ?
FK : Il y a une quantité invraisemblable de livres
qui sortent chaque année. Les libraires sont submergés. En tant
qu’éditeurs ou éditrice, nous sommes pris dans la tourmente de «
l’industrie culturelle ». Malgré l’immense difficulté à se faire
entendre, cela ne doit pas nous empêcher de fabriquer des livres, car la
mémoire et l’histoire ont encore et toujours pour canal de transmission
privilégié les livres et les écrits.
Comme le dit Michel Ragon dans son magnifique livre La Mémoire des vaincus : « Ne pas perdre tout ça. Ne rien perdre. Les livres meurent aussi mais ils durent plus longtemps que les hommes. On se les passe de main en main. »"
